mercredi 14 août 2013

Le poignard -2-

      Presque deux mois que ces papiers traînaient sur le bureau de Mourad. Le fait qu’Olfa insistait incessamment sur ce projet de « bestseller » comme elle le décrivait le rendait perplexe ; il était gêné par cet engouement   inexpliqué à ses yeux envers cet écrivain inconnu. Certes les bouts de textes qu’il avait lus méritaient un peu d’intérêt mais il se trouvait indécis même à l’idée de croire encore à l’avenir de sa maison d’édition que dire alors de miser gros sur un inconnu.


      Au Lecteur Passionné les bureaux vides et les quelques heures de travail quotidien  suivaient le rythme menait par Olfa qui se forçait désormais d’accomplir toutes les taches nécessaires qui permettraient l’aboutissement du projet dont elle rêvait.  Lorsqu’elle se trouvait seule au bureau de Mourad elle retrouvait à travers ces papiers tout ce monde de rêve  et ces moments de partage qu’elle avait vécu au café avec ce jeune écrivain. Elle désirait le revoir, elle attendait impatiemment ce moment où elle cessera de lui dire au téléphone des phrases de courtoisie, et ces expressions qu’elle inventait en lui décrivant l’admiration de Mourad envers son roman. A chaque appel elle pénétrait plus dans son monde qui l'intriguait, ainsi elle a su qu’il vivait seul dans une maison entourée de palmiers –chose rare en pleine ville-, qu’il s’est remis à écrire et qu’il le faisait « grâce à elle ». Une réplique qu’elle comprendra  beaucoup trop tard.

samedi 1 juin 2013

Le poignard -1-

     Marchant le long de la plage, les pas lents et la silhouette chancelante, son esprit voyageait vers cet horizon lointain. Sans savoir ni pourquoi ni comment, ses pensées le ramenaient incessamment à ses premiers jours avec Olfa.

     Loin des regards, à l’abri de ceux qui n’éprouvent du plaisir qu’à gâcher celui des autres, il l’avait rejoint dans ce café distant mais très accueillant. Elle le trouvait plus grand qu’elle ne l’imaginait, et lui la trouvait plus jolie, mais ça ne les a pas empêché de se reconnaître dès le premier regard.

Un doux frisson traversa leurs corps.

Deux petits baisés, et une infinité de mots échangés meublaient cette première rencontre. Il s’est toujours trouvé incapable de saisir le sens de ce qui était dit ce matin là.  Ils parlaient pour fuir le monde réel et échapper l’un  à l’autre. Olfa évoquait son quotidien, ses collègues de  travail, ses soucis de transport et ses problèmes avec sa mère. Elle avait vingt cinq ans, une année de plus que lui. Dans la maison d’édition où elle travaillait, il n’y avait pas beaucoup de choses à raconter.  A part les problèmes financiers  de Lecteur Passionné –l’éditeur-, rien ne valait la peine d’être raconter. Olfa y était comme correctrice d’édition, et souvent elle allait au delà se permettant de donner son avis critique sur un livre. Le boulot lui plaisait bien mais les ventes ne reflétaient pas les ambitions du départ derrière la création du Lecteur Passionné. Les ventes ne décollaient presque pas, et les subventions de l’état ne suffisaient même pas à payer les frais d’entretien du local. Beaucoup de ses collègues commençaient à fuir ce navire qui risquait de chavirer à n’importe quel moment. Elle parlait avec une grande passion, elle décrivait son travail comme celui dont elle a rêvé depuis son plus jeune âge. Parfois il sentait une larme prête à tomber mais là elle s’arrêtait, détournait son regard et commençait à balancer des banalités de son quotidien familial.

     Lors de ce rendez vous il devait lui présenter une copie de son ouvrage. C’était son premier roman, et il hésitait à confier ses papiers imprimés la veille à cette inconnue. Une inconnue qui était son seule point de contact avec le Lecteur Passionné. Son hésitation persistait malgré ce qu’elle disait du bien de son ouvrage lui assurant  que l’idée du livre et les bouts de chapitres qu’il a envoyé au Lecteur Passionné plaisaient bien à Mourad le fondateur et le directeur de la maison d’édition.
 
     Ce jour là, son manque d’expérience et les sourires incessants d’Olfa le mettaient dans un état autre. Avec elle le monde de l’édition paressait d’une simplicité déconcertante à condition que les gens se remettent à lire. Elle y croyait profondément, elle voyait sans aucun moment de  doute le lendemain des livres avec des centaines de maisons d’éditions. De tous ses mots, il ne garda que des vagues souvenirs. Mais d’elle, de ses lèvres de ses mains, de son sourire et de sa voix il se rappelle encore des moindres détails. C’était les premiers battements de son cœur, c’était les premiers mots de leur histoire, c’était leur premier jour et leur premier rêve ensemble.

  

jeudi 23 mai 2013

Le foyer d’où personne ne sortait


    Comme chaque nuit, elle s’accrochait le long de son lit à ces bouts de sommeil qui fuyaient incessamment ses paupières. Un sommeil qui la délaissait depuis quelques jours. Elle se sentait esseulée dans cette noirceur des nuits d’été suffocantes de chaleur. Seule, elle s’allongeait pour des heures sur son lit, unique meuble au fond d’une chambre qui lui semblait de jours en jours de plus en plus étroite. C’était son monde à elle, là où elle passait des longs moments écoutant des mélodies qui la transportaient dans un au-delà qu’elle a bâti lentement pièces après pièces.

    Ce monde à elle, le sien, c’est lui qui lui imposait désormais les pires doutes. Des questions qui la harcelaient non pas à cause d’une complexité  quelconque, mais plutôt à cause d’une certaine simplicité qui les caractérisait, une sorte d’intrigue qui s’imposait à elle, une énigme qui remettait en cause les fondements de son monde, elle ne savait comment avoir la certitude si cette possibilité de bonheur  était réelle où bien si c’était une chimère que le destin balançait à elle en guise de farce.

Elle doutait, elle hésitait, elle souffrait …

    Ce jour là, allongée sur son lit, elle sentait un regard qui la caressait, elle ne savait plus si elle dormait vraiment, et ne voulait pas non plus interrompre ces doux moments de somnolence. Le réel et l’imaginaire se confondaient. Elle essayait de se guider vers un rêve dans lequel elle serait ailleurs, au-delà de ces murs et très loin de ces  figures.

Ailleurs, loin de ce foyer d’où personne ne sortait.

vendredi 8 mars 2013

Decem mensium


      Durant ces dix derniers mois elle n’a cessé de l’attendre, d’espérer un geste de sa part, un signe, une photo, quelques murmures, n’importe quoi de sa part lui redonnera gout à la vie;  elle n’osait même plus penser qu’un jour tout redeviendra comme avant , elle ne désirait plus grand chose de la vie, surement pas le bonheur -elle n’y croyait plus depuis longtemps-. Elle savait qu’il ne lui pardonnera jamais son départ... D’ailleurs, ce n’était pas non plus un quelconque pardon qu’elle attendait mais juste le soulagement de savoir qu’il a su encaisser , qu’il a continué à vivre et à aimer, qu’il n’ a pas trop souffert, qu’il s’est battu pour son propre bonheur... tout simplement qu’il l’a oublié.

     On frappa à la porte de sa chambre pour le déjeuner, comme hier elle refusa de descendre , elle n’en veut plus de ces voix qui l’entourent, qui guettent ses faiblesses, qui savourent ses angoisses et rejettent sur elle les jugements les plus affreux et les plus insultant.  Mais la voix est insistante, c’était celle de sa mère qui la supplia de descendre.  Sa voix tremblante lui fracassa le coeur,  elle s’éloigna du lit et ouvrit la porte , fixa sa mère d’un regard chagriné pour un court moment puis elle le détourna vers les rideaux qui couvraient l’unique fenêtre de sa chambre... Pour elle au delà de la fenêtre il était toujours là , il l’observait, il veillait sur elle. Depuis dix mois ces rideaux étaient pour elle le seul obstacle qui la séparait de lui. Sa chambre fut pour des mois son confessoir, chaque matin elle parlait pour de longues minutes, espérant qu’au delà des rideaux il était là à l’entendre.

      Désespérée, sa mère quitta la chambre en claquant la porte laissant derrière elle des larmes et des rêves inachevés.